Nous avons appris hier 23 novembre que le gouvernement ouvrait un chantier sur l'harmonisation des traitements des hauts fonctionnaires, en prévoyant de verser des primes "au résultat".
J'ai déjà eu l'occasion d'exprimer ici tout le mal que je pense de ces primes au résultat. Je ne suis pas le seul : W. Edwards DEMING liste ce mode de gestion parmi les 5 maladies mortelles des entreprises. Alfie KOHN a abondamment décortiqué la chose dans un ouvrage remarquable : "Punished by Rewards : the trouble with gold stars, incentive plans, A's, Praise and Other Bribes" (oui, il fait rimer rémunération au mérite et corruption...) Livre publié en 1993 par Houghton Mifflin.
Pour faire bref, il est imaginable de fixer des objectifs à une personne si et seulement si elle est seule responsable du résultat. Je peux payer double, ou même 2,5 fois plus, un bûcheron qui coupe 2 arbres au lieu d'un.
Mais si je parle de l'évacuation des arbres, voire même de l'arrivée des troncs à la scierie et de la remise en état du terrain, alors le bûcheron n'est plus seul. Sa prime ne va plus dépendre de son seul travail / effort / comportement / expérience, mais de la performance d'une équipe. Qui n'est pas toujours soudée. Le transport des grumes par exemple peut être sous-traité. Et le conducteur du camion n'a pas les mêmes objectifs ni les mêmes incitations que le bûcheron. Dans ce cas, verser une prime devient un exercice absurde.
Nos entreprises françaises font régulièrement des choses absurdes. Et parfois même cela se remarque : tout le monde voit bien que les choses ne fonctionnent pas comme prévu. Sans que cela ne les dissuade d'arrêter. Et lorsque l'on veut améliorer la compétitivité des entreprises, on se retourne vers les pouvoirs publics pour demander des baisses de charges sur les salaires, ou des baisses d'impôt sur les bénéfices. Comme si donner de l'argent à des entreprises mal organisées allait brutalement faire changer la manière de penser des dirigeants. Ils vont au contraire conforter leur biais cognitif : si on veut obtenir des baisses d'impôt, il faut continuer à travailler aussi mal qu'auparavant.
Nos entreprises françaises, donc, font souvent des choses absurdes. Faut-il pour autant que la fonction publique les imite ? Quelle part du résultat d'un directeur départemental de ceci ou de cela dépend *exclusivement* de son propre travail ? Cela doit approcher le néant. Le haut fonctionnaire, sans ses équipes, ne peut pas grand-chose. Au mieux. Lui donner une prime individuelle va nécesairement conduire le ministre à biaiser le système, avec des critères qui seront tout sauf individuels.
À quand un management de qualité (je n'ai pas écrit "de la qualité") dans la haute administration ?
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