jeudi 29 mai 2014

Sécurité des aliments

Entendu ce matin sur RMC (hier soir aussi, en avant-première, lorsque j'ai été interrogé à une heure très tardive par un journaliste qui préparait son papier), mais lu aussi sur le site internet du Télégramme : la Cour des Comptes s'attaquerait aux produits alimentaires premiers prix, avec "viandes grisâtres utilisées pour préparer du chorizo", "souris mortes ou vivantes dans des cuves", etc. Le tout dans un rapport "tenu secret".

En février 2014, un premier rapport avait été rendu public. Toute la presse en avait rendu compte. Ce rapport faisait le point sur l'organisation des contrôles de sécurité sanitaire, pointait la multiplicité des organisations en charge du sujet, l'insuffisance des effectifs et la "schizophrénie" (le mot est de moi) des agents, tiraillés entre la sanction des situations anormales et la sauvegarde de l'activité économique. Pour illustrer le manque de contrôles.

Quoi de neuf aujourd'hui ? Je n'en sais rien, n'ayant pas accès au "nouveau" rapport, ou au rapport complet. Ce qui est certain est que le lien entre sécurité alimentaire et premiers prix est forcément un raccourci, et forcément dangereux. Je vais illustrer (pas démontrer) mon propos :
  • Les aliments premier prix utilisent des matières premières pas chères et les conditionnent dans des emballages pas chers. Ces matières premières pas chères posent plusieurs problèmes :
    • elles peuvent ne pas avoir été contrôlées;
    • elles peuvent ne pas provenir des meilleurs morceaux (on pense par exemple à la Viande Séparée Mécaniquement, qui n'a pas grand chose à voir avec le muscle, qui contient de l'aponévrose, du gras, ingrédients dont une consommation excessive peut nuire à la santé);
    • elles peuvent contenir des pesticides (pour les végétaux) ou des médicaments (pour les matières d'origine animale);
    • elles peuvent donc être intrinsèquement préjudiciables à la santé. Le rapport de la Cour des Comptes de ce début d'année faisait d'ailleurs mention de ce possible "effet cocktail".
    On a alors un risque pour la santé sur le long terme (on parle de toxicité chronique) : seule une consommation prolongée a un impact négatif.
  • Les entreprises produisant les premiers prix ne font que peu de marge; elles doivent donc rogner sur toutes leurs dépenses, et cela peut signifier:
    • du matériel en mauvais état, mal entretenu, avec de l'huile qui fuit, ou de la rouille...
    • des procédures de nettoyage trop superficielles, ou trop rares, ou avec des produits inefficaces
    • du personnel en nombre insuffisant, ou sans formation adéquate
    • des fonctions sous-représentées dans l'entreprise, comme les méthodes, la R&D, la qualité
    • des activités non représentées, ou sous-représentées, comme le contrôle des matières premières, des produits finis, des surfaces, etc.
    Tout ceci peut contribuer à faire courir des risques sanitaires à court terme, avec des aliments contaminés par des micro-organismes pathogènes.
  • Mais ce qui précède n'est pas limité aux producteurs de premiers prix... Un accident est d'ailleurs toujours possible... On espère simplement que les contrôles permettront de bloquer le produit contaminé avant qu'il n'ait atteint le consommateur.
  • La grande distribution, enfin, n'est pas totalement exempte de reproches, quels que soient les produits (marques nationales, marques distributeurs ou premiers prix :
    • d'abord parce que la frontière entre les marques de distributeurs et les premiers prix n'est pas toujours très claire, les produits sortant parfois des mêmes chaînes de fabrication, et provenant parfois de sites de production assez éloignés du territoire national - donc assez opaques pour le consommateur comme pour les inspecteurs.
    • J'ai échangé un jour avec une personne ayant fait un stage dans le laboratoire de pâtisserie d'un hypermarché (enseigne nationale, connue et pas "hard discount") situé dans la très proche banlieue de la préfecture d'un département de la région Rhône-Alpes. "Ce qu'il y avait de bien, à la pâtisserie", me disait-elle, "c'est que là au moins il n'y avait pas de rats. Alors qu'à la boulangerie, avec toute cette farine, c'est normal qu'ils aient des rats". Quand même les professionnels trouvent "normal" une situation ahurissante, où allons-nous ?
    • Qui n'a pas vu de moineaux dans des hypermarchés ? Que deviennent ces oiseaux le soir ? Où vont-ils manger ? Où déposent-ils leurs fientes ? Comment se fait-il qu'on n'en aperçoive pas à l'étranger ?
  • Enfin, en Allemagne, un organisme appelé QS (Qualität und Sicherheit GmbH (Qualité et Sécurité) encadre les aspects de sécurité des aliments en partant de la ferme (échelon très peu sollicité en France, l'Union Européenne ayant cédé aux lobbies de tout poil s'insurgeant contre les contraintes insupportables faites aux agriculteurs et autorisé que la production primaire soit exemptée des la majorité des obligations pourtant contenues dans les Règlements du "paquet hygiène"). QS, donc, organise le contrôle, référence ou dé-référence les producteurs et les transformateurs, bref fait, de manière privée, ce que les États ne font pas. Parmi les adhérents à QS, on trouve bien entendu Lidl et Aldi. Ces deux enseignes "premier prix" prennent donc des précautions pour les produits qu'ils commercialisent, ce que d'autres ne font pas nécessairement.
On se retrouve donc comme souvent (comme toujours ?) face à un très simple problème d'éthique individuelle. Peut-on avoir, dans le cadre professionnel, des pratiques que l'on n'aurait pas dans le cadre familial ? Quand cette question aura une réponse, on aura beaucoup progressé.

Quant au rapport de la Cour des Comptes, ma foi, dès qu'il est accessible, je le lis ! Et il est possible que je le commente !

Et sur la situation actuelle des contrôles : bien entendu il en faut plus, mais il faudrait surtout plus de fermeté dans l'application des sanctions. Pas conforme : fermeture administrative, amende (les pouvoirs publics n'ont pas à supporter la charge des contrôles des pratiques répréhensibles de chefs d'entreprises indélicats) et publicité. Je pense que ça ferait bouger dans la bonne direction.

H

lundi 19 mai 2014

DLC - fin

Décidément, mon message a fait réagir.

je viens d'être rappelé (à 19 h ) par la personne responsable du magasin à qui j'ai parlé hier. Cette personne étant probablement en récupération, je suis navré de la contraindre à cela.

Sur le fond, elle prend tout sur elle "le dimanche, il n'y a qu'une personne qui peut rendre ce genre de décision, mais il faut aussi s'occuper des clients, distribuer les bouteilles de gaz... je n'ai pas pu aller vérifier régulièrement la remontée en température". L'armoire, m'a-t-elle assurée, a été vidée aussitôt après mon départ, les produits détruits. Dont acte.

Cette reconnaissance de ses responsabilité dans l'affaire est courageuse, et je lui en donne acte, mais je lui ai dit qu'elle faisait fausse route. Le problème vient du fait que 100% du personnel devrait être capable d'identifier le dysfonctionnement et de le traiter, en vidant l'étagère et en détruisant les produits. Que les hôtesses de caisse soient à leur poste ne les empêche pas d'alerter. Et je pense qu'aucun client ne jugerait négativement une initiative ayant pour objet la sécurité des consommateurs.

Seulement voila : le bruit n'était semble-t-il pas lié au dysfonctionnement. "Quand j'ai appelé le technicien, à 9h, on atteignait les 5°C [la réglementation parle de 4°C maximum, mais n'appuyons pas là où ça pourrait faire mal], et il m'a dit que le bruit ne venait pas du compresseur, ni du ventilateur, mais d'un morceau de métal qui frottait". Je ne suis pas technicien frigoriste, je ne vais donc pas m'opposer frontalement à ce valeureux professionnel. Néanmoins, la concomitance des deux (le bruit et la remontée en température) me semble très étrange. En tout cas, si mon frigo avait fait un bruit pareil, je l'aurais arrêté instantanément, de peur de le voir prendre feu... Et je reste circonspect devant une remontée de 10° en moins de 2 heures. Mais bon, j'accepte.

Quoi qu'il en soit, bravo à cette enseigne pour sa réactivité vis à vis des appels de ses clients.

H

DLC - suite

Lorsque j'ai mis en ligne mon article hier, j'ai aussitôt envoyé un courriel à l'enseigne , afin que des actions soient prises.

Comme annoncé sur le site, j'ai été rappelé rapidement (ce lundi à 14 h 50, soit en moins de 24 heures, ce qui est très bien).

La personne qui m'a appelé m'a affirmé que mon message serait bien transmis à la direction du point de vente, et que je serai rappelé sous 5 jours. Et comme je lui faisais remarquer que c'était au niveau de la direction qualité du groupe que l'information devait être traitée, elle m'a répondu que non, c'étaient les directeurs de magasin qui étaient responsables de la formation de leurs salariés.

Ceci explique probablement cela...

H

dimanche 18 mai 2014

Vous avez dit DLC ?

Le respect des Dates Limites de Consommation est remis en question. Un article sur Capital.fr en mai 2013; un article dans Que Choisir en mai 2014, un reportage en préparation sur France 5... La question est posée : les DLC courtes sont-elles responsables d'une partie du gaspillage alimentaire ?

La réponse n'est pas facile. Bien entendu, les fabricants et la grande distribution ont un avantage objectif à ce que les consommateurs mettent à la poubelle des produits qu'ils n'ont pas consommé. Mais les DLC ont un objectif tout autre : celui de la protection de la santé de ces consommateurs.

Lorsqu'un industriel fixe une DLC, il est tiré par plusieurs intérêts :
  • le commercial souhaite les DLC les plus longues possibles, ça facilite les prises de commandes et ça rassure son cllient,
  • le client distributeur souhaite de toutes façons lui aussi des DLC les plus longues possibles, ça facilite sa gestion de stocks, et ça lui évite de retirer des rayons une quantité trop importante de produits approchant de la DLC,
  • le marketing en revanche souhaite des DLC assez courtes, pour pouvoir faire vivre sa marque. Il n'est pas facile de synchroniser une action promotionnelle, ou un changement de graphisme, si on peut retrouver sur les linéaires les deux versions pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois,
  • la qualité, ou la R&D enfin, souhaite la DLC la plus courte possible, afin de ne pas avoir à subir ensuite des reproches si un produit s'avère impropre à la consommation.
Qui dit impropre à la consommation ne dit pas systématiquement que le consommateur va se retrouver à l'hôpital ! Mais qui a un jour senti l'odeur d'une viande avariée en la sortant de son emballage sait reconnaître un produit impropre à la consommation...

Alors on se met d'accord sur une DLC "raisonnable", ni trop courte, ni trop longue. Et tout le monde croise les doigts pour que la chaine du froid soit respectée. Car tout l'enjeu est là. Les micro-organismes (bactéries essentiellement) vont se développer tout au long de la durée de vie du produit. Et si le produit est maintenu à température basse, alors on n'atteindra jamais le niveau auquel la santé du consommateur est mise en jeu. Mais si la température remonte, si elle dépasse les 3 °C, alors la croissance s'accélère, et de manière exponentielle. Et le consommateur risque sa santé. Et l'image du fabricant en prend un coup.

Ce matin, un dimanche, je suis allé acheter de la moutarde et une ampoule dans un supermarché à proximité de chez moi. En entrant, il y avait un bruit de perceuse électrique assez étrange. En m'approchant, j'ai constaté qu'il s'agissait du râle d'agonie du compresseur d'une armoire réfrigérée, remplie de produits bio (dont du jambon). L'alarme bipait, l'affichage annonçait un 15,6 °C de très mauvais aloi.
Je suis allé voir le vendeur du rayon traiteur, pour lui demander de vider l'armoire. C'était un étudiant apeuré, qui ne m'a pas répondu. Je suis allé voir la responsable du magasin, qui avait plus urgent à faire que m'écouter. J'ai fait la queue, j'ai payé, et je suis retourné la voir. Quand je lui ai dit que son frigo était en panne, elle m'a répondu "oui, j'ai appelé hier, j'ai rappelé ce matin, ils m'ont dit que c'était bon". "Mais la température est au-dessus de 15 °C ?" "Ah non, je suis allé voir, c'est bon." J'ai quitté le magasin. Les produits ont-ils été mis à la benne ? Mystère...

Je n'incrimine personne, je ne veux pas de mal à cette dame. Mais j'en veux à l'enseigne, qui ne s'assure pas des compétences, de la formation, des réflexes de ses collaborateurs. Le système est ici en défaut.

Sacrément en défaut...

H